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Pedro de Urdemalas ; et un nombre égal d’intermèdes : El Juez de los divorcios, el Rufian viudo,

    les dramaturges, et s’efforce de justifier la violation flagrante de l’unité de lieu. La scène se trouve tout d’un coup transportée de Séville dans un couvent de Mexico, où le rufian s’est fait moine, et c’est la Curiosité qui demande l’explication de ce brusque transport à la Comédie. La Curiosité et la Comédie se présentent sous la forme de deux nymphes.

    Cervantes goûtait fort l’introduction des personnages allégoriques sur les planches, et il s’applaudissait de cette innovation ; il croyait même en être l’inventeur, et en cela il se trompait, car les personnages allégoriques figuraient dans la comédie quelque temps avant ses premiers essais dramatiques. On peut s’en convaincre en lisant, par exemple, une pièce assez intéressante de Alonzo de Vega, contemporain da célèbre Lope de Rueda, et acteur, comme ce dernier, dans ses propres comédies. Nous ne disons rien de la fameuse danse Macabre (Danza general de la muerte), attribuée au juif converti Rabbi Santob, de Carrion (quatorzième siècle). Dans cette espèce de tragédie où figurent des acteurs de tout rang et de tout âge, le personnage principal n’est pas autre que la Mort.

    Dans la préface de ses comédies. Cervantes se félicite d’avoir divisé ses pièces en trois actes ou journées. Mais cette innovation remonte pour le moins au milieu du seizième siècle ; on la trouve dans les comédies de Francisco de Avendaño (1553) et dans celles de Cristobal de Virués (1579).

    Parmi les intermèdes écrits en prose, le Gardien vigilant, la Cave de Salamanque et le Vieillard jaloux sont des morceaux agréables et très-divertissants. Trampagos, le Biscayen supposé, les Deux Bavards, sont de très-bonnes farces, qui font rire comme les tours et fourberies de Scapin.

    Dans ces sujets si divers, Cervantes a fait montre de cette heureuse facilité d’esprit qui distingue ses productions : l’invention, la verve, le style languissent rarement : mais entre toutes les qualités qu’on y remarque, la plus saillante et la plus précieuse, c’est la variété. Ce fécond génie était riche en observations ; il connaissait à fond la société de son temps ; et il excelle dans la peinture qu’il fait des bohémiens, des chevaliers d’industrie, des vierges folles, des gens du faubourg et de ceux de la campagne, en peu de mots, de ces classes qui sont en majorité, et dont il avait profondément étudié les mœurs et les discours dans ses nombreuses pérégrinations en Castille et en Andalousie.

    Cervantes mêlait toujours ses souvenirs aux fictions de son esprit, et il racontait volontiers dans ses drames et nou-