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LXXVIII

Le théâtre de Cervantes renferme huit comédies : El Gallardo español, la Casa de los celos,

    de mauvaises pièces. Ce misérable paradoxe n’annonce pas un esprit ingénieux ni un discernement très-fin. Quoique don Blas Nasarre fût de cette école de beaux-esprits médiocres, qui était toute-puissante en Espagne, sous la dynastie des Bourbons, son invention n’émerveilla personne, et, en définitive, il eut bien peu d’adhérents. En revanche, il se trouva quelqu’un qui, prenant le paradoxe au sérieux, se mit en tête de le réfuter par un autre paradoxe non moins ridicule.

    L’abbé Lampillas, un de ces célèbres jésuites catalans qui prirent si vaillamment en main la défense des lettres espagnoles, contre les attaques intempestives et le plus souvent injustes de quelques savants italiens, l’abbé Lampillas, homme d’un grand savoir et d’un petit jugement, prétendit démontrer à son tour que les pièces de théâtre, que don Blas Nasarre venait de remettre en lumière sous le nom de Cervantes, étaient des pièces parfaitement apocryphes, mises en circulation par un libraire impudent et avide.

    On voit que ce pauvre abbé Lampillas, dans son scepticisme outré, ne raisonnait guère mieux que le partisan enragé des vieilles traditions classiques.

    Enfin, lorsque l’académie espagnole donna l’excellente et splendide édition de Don Quichotte, — hommage tardif à la mémoire du grand inventeur, raro inventor, — don Vicente de los Rios, dans une étude biographique, littéraire et critique, s’avisa de remarquer, à propos des pièces dramatiques de Cervantes, que cet homme d’un génie extraordinaire justifiait pleinement la doctrine du fameux médecin Juan Huarte, d’après lequel il est très-rare de voir un esprit, si eminent qu’il puisse être, réussir également dans la théorie et dans la pratique ; s’attachant à démontrer que, dans la composition de ses comédies et intermèdes, l’auteur de l’Ingénieux chevalier de la Manche avait complètement oublié de suivre les sages préceptes qui sont répandus avec profusion dans la plupart de ses écrits.

    Le raisonnement de l’académicien est ingénieux, mais il pèche par la rigueur autant que par la justesse, et il prouve assez que, si la critique espagnole avait fait quelque progrès, elle avançait bien lentement.

    Il est bien vrai que Cervantes a écrit des pages pleines de sens sur le théâtre, et que ses observations sont remarquables par la profondeur autant que par la finesse des aperçus ; mais il faut dire aussi que ses réflexions excellentes n’ont pas toujours été comprises, pour avoir été trop souvent exagérées. Mieux que personne, Cervantes pouvait saisir les défauts monstrueux de l’école dramatique de Lope,