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LXIX

Je sais bien que mes iniquités sans fin et mes faibles regrets d’avoir péché me retiennent parmi ces faux Ismaëlites. — Quand j’arrivai vaincu et que je vis cette contrée, si renommée partout, qui sert d’abri, de refuge et de demeure à tant de forbans, — je ne fus pas maître de mes larmes ; et, en dépit de mes efforts, sans savoir comment, je sentis mon pâle visage inondé de pleurs. — À mes yeux s’offraient le rivage et la montagne où le grand Carlos déploya sa bannière au souffle du vent ; — et cette mer qui ne put endurer un si haut exploit ; car, jalouse de sa gloire, elle fut alors plus que jamais en fureur. — Roulant ces pensées dans ma mémoire, les larmes me jaillirent des yeux au souvenir d’un si fameux désastre. — Toutefois, si le ciel, d’accord avec ma mauvaise fortune, ne m’accable de nouveaux chagrins, et si la mort ne saisit point ici ma dépouille ; — quand je me verrai dans une position meilleure, si par votre entremise, Monseigneur, je puis m’agenouiller aux pieds de Philippe ; — je crois qu’en présence du roi ma langue bégayante et presque muette, mais étrangère à l’adulation et au mensonge, trouvera le mouvement pour dire : — « Haut et puissant Seigneur, dont l’autorité est reconnue par mille nations barbares, domptées et obéissantes ; — à qui les noirs Indiens rendent hommage par leurs tributs en portant ici l’or extrait de leurs mines ; — puisse s’allumer le courroux de ton âme royale aux bravades de cette orgueilleuse bicoque qui n’a d’autre ambition que de t’outrager. — La garnison est nombreuse, mais sans forces, nue, mal armée, et n’ayant pour se mettre à l’abri ni rocher, ni mur redoutable. — Chacun se tient aux aguets, attendant l’arrivée de ta flotte, pour donner à ses pieds le temps de lui sauver la vie. — De cette amère, sombre et triste prison, où languissent