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mourir. C’était une exhortation au dernier sacrifice, une promesse d’immortalité, sortie de la bouche d’un grand homme, qui fut lui-même un héroïque soldat.

Les autres pièces que Cervantes composa vers le même temps sont toutes perdues, et je crois qu’il ne faut pas trop les regretter, malgré les réformes qu’il se vantait d’avoir introduites dans le théâtre, et dont l’utilité paraît fort contestable. « J’osai le premier dans Numance, dit Cervantes, personnifier les pensées secrètes de l’âme, en introduisant des êtres moraux sur la scène, au grand applaudissement du public[1]. Mes autres pièces furent aussi représentées ; mais leur succès consista à parcourir leur carrière sans sifflets ni tapage, ni sans cet accompagnement d’oranges et de concombres dont on a coutume de saluer les auteurs tombés. » — Ces succès d’estime ne pouvaient guère l’enrichir. Il crut prudent de renoncer au théâtre, dont le fameux Lope de Vega, « ce monstre de la nature, » comme il l’appelle excellemment, s’était emparé par droit de conquête. Il y régna bientôt en monarque absolu, qui connaît ses sujets. Sa fécondité inépuisable plaisait au public, qui n’était pas délicat et

  1. Dans el Trato de Argel, on voit figurer l’Occasion et la Nécessité. Cette résurrection de la tragédie antique n’avait plus alors sa raison d’être, comme au temps où les croyances mythologiques étaient encore en crédit. — Voir à la fin de cette notice une appréciation sommaire du théâtre de Cervantes.