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natale) pour encourager les jeunes talents et soutenir les bons écrivains. Sa maison, semblable à celle de son contemporain et concitoyen, l’ingénieux peintre Pacheco, était un musée et une académie toujours ouverte aux beaux esprits. Les poëtes en particulier recevaient de ce magnifique seigneur toute sorte de bienfaits et de distinctions flatteuses. Lope de Vega lui a dédié trois de ses nombreux poëmes. Espinosa, dans son recueil poétique, donna la première place aux productions de cet esprit aimable et délicat, et pour reconnaître ce que lui devait la poésie contemporaine, et pour attirer le public ; car Juan de Arguijo, qu’on adorait presque à Séville à cause de sa bonté inépuisable et de l’aménité de ses mœurs, était connu dans toute l’Espagne par cette vertu que les Espagnols prisent entre toutes, la libéralité. À vrai dire, Juan de Arguijo doit être considéré comme un amateur de poésie, et non comme un poëte de profession ; mais sa passion désintéressée lui tint lieu de génie, et il n’est aucune de ses productions qui ne révèle de rares qualités d’esprit. Il a peu écrit : vingt-neuf sonnets, deux canciones, une bluette, sous le titre de Silva ; c’est tout son bagage. Cela ne pèse guère, à la vérité ; mais dans ces riens il y a ce je ne sais quoi qui charme irrésistiblement ; un parfum de poésie doux et léger dont la suavité pénètre les connaisseurs et désarme les critiques les plus fins, naris emunctæ. Le génie proprement dit ne fut point accordé à don Juan de Arguijo. Mais l’amour du beau, accompagné du goût le plus pur et d’une grande tendresse de sentiments, donnèrent à son intelligence des qualités proportionnées à la grandeur simple et naïve de son âme excellente. Il n’avait pas besoin d’écrire pour recommander son nom à la postérité, et ce qu’il a écrit sert encore aujourd’hui à relever, à