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les écrivains et les poëtes contemporains, ceux qui devaient former la cour littéraire de ce grand seigneur fastueux. On comprend que les deux frères Argensola durent recevoir à cette occasion quantité de placets : mais ils ne pouvaient contenter tous les solliciteurs, et furent obligés de donner, faute de mieux, de bonnes paroles. Cervantes leur reproche doucement de ne l’avoir point appelé dans ce cercle de beaux esprits dont ils étaient les fondateurs et les présidents. Au milieu de ses graves occupations, Lupercio de Argensola ne négligeait point le culte des lettres. Il établit à Naples une académie des belles-lettres, dite des Oisifs, « Oziosi » ; mais il n’eut pas le temps de réaliser tous ses projets, la mort l’ayant frappé prématurément dans sa quarante-huitième année. Le vice-roi et l’Académie, dont il avait été le véritable promoteur, lui rendirent les honneurs funèbres, au milieu du deuil général (mars 1613). Son éloge fut prononcé solennellement par Giovanni Andrea de Paulo, secrétaire de l’Académie, dirigée alors par Manso, l’ami de Milton et du Tasse. Comme écrivain, comme poëte, Lupercio Leonardo de Argensola a les mêmes mérites que son frère Bartolomé : pureté, sobriété, netteté de langage. On a surnommé les deux frères, les Horaces espagnols. Quoique l’éloge soit outré, il répond assez à l’opinion qu’on peut se faire du talent correct et sévère de ces deux poëtes éminemment classiques. Ils avaient incontestablement le don de poésie ; mais ils étaient avant tout deux maîtres dans l’art de la versification. Lope de Vega disait d’eux qu’ils semblaient avoir quitté l’Aragon, pour enseigner la vraie langue espagnole aux Castillans. Lupercio a de fort belles poésies lyriques. On sait par son fils qu’il avait détruit à peu près toutes ses compositions poétiques, « mi padre, antes de morir,