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soin de ne point chiffonner son col, et lui dis : « Je ne vous connais autrement que pour vous servir ; mais, d’après ce que je vois, il m’est prouvé que vous êtes un homme de grand sens et de haute qualité : ce sont là des distinctions qui commandent le respect. »

Nous nous fîmes encore beaucoup de politesses de ce genre, sans ménager les offres de service, et d’un propos à un autre, il finit par me dire : « Vous saurez, seigneur Cervantes, que par la grâce d’Apollon, je suis poëte, ou du moins je désire le devenir ; mon nom est Pancracio de Roncesvalles. — Miguel. Je ne l’aurais jamais cru, si vous ne me l’eussiez affirmé de votre propre bouche. — Pancracio. Et pourquoi ne l’auriez-vous pas cru ? — Miguel. Parce que ce n’est que par miracle que les poëtes sont aussi bien nippés que vous l’êtes ; et la cause en est que, leur génie les emportant à des hauteurs prodigieuses, ils se soucient bien plus des choses de l’esprit que de celles du corps. — Moi, dit-il, seigneur, je suis jeune, je suis riche et je suis amoureux ; et tout cela chasse bien loin la négligence qui émane de la poésie. La jeunesse me donne de l’énergie ; la richesse me permet de la montrer et l’amour me préserve de toute apparence de mollesse. — Eh bien, lui répondisse, vous êtes en train de faire un excellent poëte, car vous avez fait les trois quarts du chemin. — Pancracio. Comment cela ? — Miguel. La fortune et l’amour sont deux