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poing avec les coudes. Pour abréger, le collet et les manchettes étaient si exorbitants, que le visage restait entièrement caché et enseveli dans le col, de même que les bras dans les manchettes.

Pour revenir, le susdit jeune homme vint à moi, et d’une voix calme et grave, il me dit : « N’êtes-vous point, par hasard, le seigneur Miguel de Cervantes Saavedra, le même qui depuis quelques jours est revenu du Parnasse ? » À cette question, je crois sans aucun doute que mon visage perdit ses couleurs, et, emporté par mon imagination, je pensai en moi-même : « Qui sait si ce garçon n’est pas un des poëtes que j’ai introduits ou que j’ai négligé d’introduire dans mon voyage, et s’il ne vient pas à présent acquitter une dette qu’il croit avoir contractée envers moi ? » Mais faisant un effort, malgré ma défaillance, je répondis : « Je suis moi-même, seigneur, celui dont vous parlez ; que me veut-on ? » Et lui, dès qu’il eut entendu ma réponse, il ouvrit les bras et me les passa autour du cou, et il m’eût certainement baisé au front, sans l’immensité de son col qui l’en empêcha. « Que votre grâce, me dit-il, seigneur Cervantes, me considère comme un serviteur et un ami ; car voilà déjà longtemps que je me sens une grande inclination pour vous, à cause aussi de la bonne réputation de votre aimable caractère. »

Ces mots me rendirent la respiration, et mes esprits troublés rentrèrent dans le calme. Je l’embrassai à mon tour, en prenant grand