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Quand je rencontrais des poëtes dans les rues, je réfléchissais qu’ils étaient peut-être du nombre des transfuges, et je passais mon chemin sans leur dire mot. Les cheveux me dressaient sur la tête, à la seule idée de rencontrer un poëte, parmi le grand nombre qui m’étaient inconnus, dont le ressentiment pourrait se traduire en quelque bon coup de poignard ou de stylet, qui m’irait droit au cœur.

Telle n’est point, s’il faut le dire, la récompense que j’attends de la renommée, moi qui me suis acquis tant de sympathies par mes sentiments de gratitude et ma droiture de cœur.

Certain petit jeune homme collet-monté, poëte de profession, et sentant son gothique de mille lieues, à cause de son costume, m’apostropha de la sorte, tout gonflé de présomption et de colère : « Je sais fort bien, moi, seigneur Cervantes, que je puis, quoique page, être poëte. Vous avez pris pour lest quantité de poëtes ignorants, et vous m’avez délaissé, moi, qui ai si bonne envie de voir les sources charmantes du Parnasse. Je crois, sans aucun doute, que vous radotez ; ce n’est point assez de dire que je le crois : je devrais dire que c’est là pour moi une vérité visible et palpable. »

Un autre dont les vers sans fin ni compte semblaient un amalgame d’argent, de nacre, de cristal, de perles et d’or, me dit en fureur, tel qu’un taureau traqué dans le cirque : « Je ne sais pourquoi on ne s’est point avisé