Page:Levoyageauparnas00cerv.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 78 —

nage ne s’applique qu’à celles qui ont avec quelque apparence de possibilité, le charme, et l’attrait de la certitude. Jamais mon humble génie n’ouvre la porte aux monstruosités, tandis que la vraisemblance la trouve grande ouverte. Comment une extravagance pourrait-elle plaire, si elle ne vient à propos, conduite par l’agrément ? La fiction ne charme qu’autant qu’elle paraît vraie ; et, moyennant les séductions du style, l’esprit brillant l’accepte avec non moins de plaisir que l’esprit simple.

Je disais donc, pour revenir à mon conte, que je vis beaucoup de monde traversant cette plaine avec des cris bruyants et joyeux. Les uns, vêtus décemment, suivant la mode de la cour, d’un habit qui était modeste, grâce à l’hypocrisie, mais propre et commode. Les autres portaient la couleur dont le jour se teint, lorsque la lumière fait sa première apparition parmi les cheveux de la fraîche Aurore. Le riche printemps offre l’infinie variété de ses nuances, qui réjouissent les yeux. La prodigalité, l’exagération se montrent à l’envi sur la verte prairie, avec l’excès d’ornements qui est propre à l’ignorance. Sur un trône qui s’élève au-dessus du sol (plus remarquable encore par la façon que par la matière, quoiqu’il ne soit composé que d’or et d’ivoire), j’aperçus une jeune vierge tellement bien mise depuis la plante des pieds jusqu’à la tête, que c’est un plaisir de la voir, un enchantement de l’entendre. Elle se tenait majestueusement assise, d’une taille gigan-