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XVI

Tant de constance et d’héroïsme avait rendu son nom célèbre et redoutable chez les Mores. Le dey lui-même craignit à la fin que ce captif intrépide et tenace ne soulevât contre lui ses compatriotes d’abord, puis les autres esclaves chrétiens, dont le nombre dépassait vingt-cinq mille. On prétend que Cervantes conçut en effet le dessein de former une vaste conjuration, et de s’emparer d’Alger au profit du roi d’Espagne ; et l’on croit même qu’il aurait réussi dans cette entreprise, sans la trahison de quelques conjurés, qui révélèrent ses plans. Si le fait est vrai, il n’est pas étonnant que le dey prît tant de précautions pour s’assurer de sa personne. Il avait coutume de dire : « Pourvu que le manchot espagnol soit bien gardé, je n’aurai rien à craindre pour ma capitale, mes captifs et mes galères. » Cervantes a raconté avec complaisance l’histoire de sa captivité, dans la nouvelle du Captif, où il figure incidemment. Après une peinture énergique des instincts sanguinaires d’Azan-aga, et des affreux supplices qu’il infligeait à ses esclaves, il ajoute :

« Un soldat espagnol, nommé Saavedra, trouva seul moyen, et eut le courage de braver cette humeur barbare. Quoique pour recouvrer sa liberté, il eût fait des tentatives si prodigieuses que les Turcs en parlent encore aujourd’hui, et que chaque jour nous fussions dans la crainte de le voir empalé, que lui-même enfin le craignît plus d’une fois ; jamais son maître ne le fit battre ni jamais il ne lui adressa le moindre reproche. Si j’en avais le temps, je vous raconterais de ce Saavedra des choses qui vous intéres-