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en ceci il n’est point essentiel d’observer mon exactitude ordinaire — depuis lors, je ne puis voir une citrouille, longue ou rebondie, sans me figurer que sous son enveloppe se cache, bien à l’étroit, quelque poëte raccourci. Et quand je vois une outre, — ô imagination impertinente, si légère et si facile à abuser, sujette à de si misérables illusions ! — je m’imagine que le cuir qui forme le goulot, n’est autre chose que la figure du poëte, transformé en ce vase imparfaitement gonflé. Et quand je rencontre quelque poëte honorable, j’entends un poëte solide et de poids, un homme bien vêtu et bien chaussé, je m’imagine aussitôt que je vois un cuir de bœuf ou une citrouille, et, de la sorte, je me consume au milieu des idées les plus contraires. En tout cas, je ne sais si c’est à tort ou à raison, que je traite de la même façon les citrouilles, les outres et les poëtes. La crécerelle, qui chasse au lézard, ne doit pas s’attendre à jouir des distinctions accordées aux éperviers affranchis de tout tribut.

Le courroux du Dieu de Délos ayant été satisfait, et les poëtes se trouvant transformés en ces objets creux et de volumineuse apparence, la mer et les vents également apaisés, Neptune mécontent se replongea au fond de ses palais de cristal, les oiseaux pacifiques suivirent le souffle du vent et allèrent déposer la belle Cypris dans son royaume. Fière de son triomphe, elle fit ce que nul, jusque là, n’avait pu obtenir de sa volonté et quitta sa grande jupe de deuil. Dans sa nudité elle