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C’est Vénus qui métamorphosa de la sorte nos poëtes étiolés, pour empêcher Neptune de les submerger. Neptune, voulant déjouer la ruse de Vénus, supplia Apollon de lui prêter ses flèches ; mais Apollon les lui refusa, et là-dessus notre barbon, armé de son trident, leva le pied fort en colère, croyant qu’il allait les percer de part en part. Mais celui-ci glisse subtilement, celui-là est insensible aux coups, et, prenant la tangente, il évite l’arme meurtrière et le Dieu enrage d’impatience.

Sur ces entrefaites, Borée redouble de fureur et chasse devant lui le troupeau, semblable à une bande de pourceaux bruyants. Ainsi le voulait Vénus, heureuse de rendre la vie à ces poëtes amis du vacarme, adeptes de la secte empesée, poëtes au teint blanc, tendres, mielleux, douceâtres, de ceux qui parfois se divisent en sectes et en partis contraires. Les vents opposés s’empressent à l’envi de complaire à la belle suppliante, et, d’un seul souffle, ils aplanissent la mer, entraînant le troupeau qui grogne, sous les outres et les citrouilles, vers les régions du couchant. Il est de fait que cette graine abonde en Espagne, et que c’est par elle que l’Espagne est surtout tenue en estime. Dans les armes, aussi bien que dans les lettres, aucune autre nation ne la surpasse pour la fécondité, du moins ; mais son goût se ressent très-fort de cette graine.

Depuis cette métamorphose, opérée par le ciel ou par Vénus, ou n’importe par qui, —