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irrésistible gourmandise, enfiler dans son chapeau, soit avec une épingle, soit avec une aiguille, les grains de raisin que le hasard ou la maraude ont mis en son pouvoir ; tel, et la comparaison ne saurait être plus exacte, on voit, non moins diligent dans sa manœuvre, le dieu irrité enfiler des poëtes avec un plaisir détestable, qui se trahissait par un rire équivoque. Il était assis sur un char de cristal, la barbe longue et remplie de coquillages, couronné de deux lamproies. Parmi les longs poils de son menton, se tenaient aussi sûrement à l’abri que sous une roche, la meule, la moule, le poulpe et le crabe. Il avait l’aspect d’un vieillard vénérable ; son vêtement était vert, azur et argent ; il paraissait robuste et d’une grande vigueur. Dans sa colère, son visage était sombre ; car l’emportement trouble la couleur de même que la raison. Sa fureur s’exerce de préférence sur ceux qui nagent avec le plus d’effort, et il va au devant d’eux, se faisant gloire d’un si lâche exploit.

Mais voici un autre événement miraculeux, qui mérite d’être raconté en détail, et avec les vers de Torquato Tasso.

Je n’ai point invoqué jusqu’ici, j’invoque à présent votre secours, ô muses ; je ne saurais m’en passer dans les hautes matières que je vais toucher. Allons, déverouillez votre plus riche armoire, et inspirez-moi le souffle qu’il faut ; je ne puis marcher du train ordinaire, en me traînant humblement.

Fendant les nues, foulant l’air de son pas