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grave et imposant, vêtus, suivant la coutume des religieux, de longues toges d’une brillante propreté. Je demandai à Mercure pourquoi ces personnages se tenaient à l’écart, malgré leurs apparences respectables. « Ils ne se montrent point, me répondit-il, pour rester dans les convenances de leur profession éminente, et c’est pour cela qu’ils restent le visage couvert. — Et qui sont-ils ? demandai-je, s’il est toutefois permis de le savoir. — Non, je ne puis le dire, pour obéir aux ordres exprès d’Apollon. — Sont-ce des poëtes ? — Oui. — Eh bien ! je ne puis deviner le motif qui les détourne de se faire publiquement gloire de leur génie. Et pourquoi donc s’abêtissent-ils, comme les imbéciles, et cachent-ils le talent que le ciel prodigue à ceux qui s’honorent le plus de lui appartenir ? De par le roi, qu’est-ce ceci ? Quelle crainte ou quel zèle les pousse à ne pas paraître sans peur devant la vile multitude terrestre ? Est-il une science comparable à cette science universelle de la poésie, qui s’étend de tous côtés à l’infini ? Puisqu’il en est ainsi, je voudrais bien savoir pourquoi, parmi les gens de cette catégorie, cette crainte, ou cette délicatesse excessive, ou cette hypocrisie sont à la mode ? Monseigneur fait des vers, et ne veut pas qu’on le sache, tout en les montrant à qui veut les voir, en se réservant de dire qu’on le calomnie. Et pourtant, si les vers sont bons, la renommée multiplie leur valeur, et de sa voix éclatante célèbre les louanges et la gloire du poëte.