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jetées au vent et semées dans le sable. J’ai eu, j’ai et j’aurai mon esprit, grâces au ciel qui me guide vers le bien, affranchi et libre de toute adulation. Mes pieds ne suivent jamais la voie du mensonge, de la fraude et de la fourberie, ennemis mortels de la vertu sainte. Je ne m’emporte point contre ma mauvaise fortune ; et pourtant, en me voyant debout, en un tel lieu, je sens encore plus vivement ma misère. Si grands que soient mes désirs, je me contente de peu. »

À ces fâcheux discours, le dieu de Thymbrée répondit avec douceur : « Les mauvaises chances viennent de si loin et prennent si haut leur source, qu’il est plus aisé de les prévoir que de les éviter. À celui-ci le bien arrive tout d’un coup, à celui-là petit à petit et sans qu’il s’en aperçoive ; il en est de même pour le mal : il n’a point d’autres allures. Conserver sagement, avec adresse et habileté, le bien acquis, n’est point d’un mérite moindre que celui qu’il y a à l’acquérir. Tu es toi-même l’artisan de ta fortune ; je t’ai vu parfois en bonne veine ; mais le bien-être ne dure pas à l’imprévoyant. Que si tu veux finir gaîment tes plaintes sans essuyer d’affront, résigne-toi, plie ton manteau et t’assieds dessus. Quand le sort refuse à un homme le bonheur, sans motif, il y a plus d’honneur à le mériter qu’à le posséder. — On voit bien, Seigneur, lui répondis-je, que vous n’avez pas remarqué que je n’ai point de manteau. » Et lui : « Même dans cet état, j’ai plaisir à te voir. La vertu est un man-