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lation et au mensonge, bégaye et reste comme muette, en célébrant ses louanges. C’était un jardin à la fois et un verger, une prairie, un bois, une riante vallée ; tous ces noms lui conviennent. Dans son ensemble, ce terrain délicieux, tout rempli de charme et de beauté, ressemblait à un coin du ciel. Ce fut là qu’Apollon joyeux fit halte ; et il ordonna à tous de s’asseoir. Il était alors trois heures après midi.

Pour éviter des confusions, il voulut que chacun fût assis selon son génie et sa valeur personnelle. Et en dépit de l’importunité de quelque ambitieux désir, il les fit asseoir en lieu et en rang convenables. Il y avait environ cent lauriers, à l’ombre desquels s’assirent très-satisfaits quelques-uns de la bande. Les autres prirent place sous les palmes, les myrtes, les lierres, et quelques poëtes trouvèrent aussi un abri sous des rouvres. Tout humbles qu’ils étaient, les siéges des plus nobles ressemblaient à des trônes élevés ; ô envie, redouble ici ta rage. Enfin, les troncs qui formaient la large enceinte furent occupés par des poëtes à dédicace. Et moi cependant, je ne trouvais point de place dans la foule. Je me tenais donc debout, dépité et pâle de colère. Je disais en moi-même : « Est-il possible que la fortune s’acharne ainsi à ma poursuite, elle qui offense tant de monde et ne craint personne ? »

Puis, me tournant vers Apollon, je lui dis, non sans balbutier[1], ce qu’entendra le lecteur

  1. Cervantes était bègue.