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On arriva enfin à la fontaine Castalie, et à l’instant, un grand nombre se précipitèrent altérés vers le courant de ses eaux de cristal. Les uns s’en donnèrent à cœur joie, et s’y lavèrent en outre les pieds et les mains, et bien autre chose encore, qu’on ne peut nommer décemment. D’autres, plus avisés, savouraient à petites gorgées l’eau délectable, prenant le temps d’en goûter la douceur. On ne porta point de santés, la plupart s’étant couchés à plat ventre, pour avaler à longs traits la suave liqueur. Des deux mains quelques-uns se faisaient des vases creux, et d’autres craignaient les obstacles qui pouvaient surgir entre l’eau et leur bouche. Petit à petit la fontaine décroît, se tarit, passe dans l’estomac des buveurs, sans que la fournaise de leur soif soit éteinte.

Apollon leur dit : « Il reste encore deux sources, Aganippe et Hippocrène, toutes les deux d’une excellente saveur ; l’une et l’autre aux eaux douces et intarissables, qui ont la propriété d’augmenter le génie de ceux qui viennent les goûter. » Ils boivent donc, et continuent à gravir la montagne, parmi des palmes, de hauts cèdres et des oliviers au pacifique feuillage. Remplis de joie et vides d’ennui, l’escadron chemine à la suite d’Apollon ; les uns vont à cloche-pied, les autres par bonds. J’aperçus, assis à l’ombre d’un vieux chêne, Alonso de Ledesma, en train de composer une cancion angélique et divine. Je le reconnus et je fus en courant l’embrasser, comme un ami. Mais il ne bougea point,