Page:Levoyageauparnas00cerv.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 31 —

méchants rimeurs que nous attendons avec crainte. — Ah ! seigneur, répliquai-je, il va à pas comptés, et un siècle ne lui suffirait pas pour faire le chemin. — Qu’à cela ne tienne, répondit Mercure ; tout poëte de noble lignage voyagera fort à son aise sur un nuage moitié gris, moitié transparent. — Et celui qui ne l’est point, demandai-je, quel équipage lui réserve Apollon ? un carrosse, un nuage, un dromadaire, ou bien un vigoureux et rapide coursier ? — Tu vas, me dit-il, tu vas bien loin dans tes questions ; tais-toi et obéis. — Si ferai-je, puisque tu ne me commandes rien d’ineffable[1]. » Voilà ce que je lui répondis, et lui me parut s’être quelque peu troublé.

À l’instant même la mer s’agite, le vent souffle et redouble. Mon visage devait en ce moment-là ressembler à celui d’un mort ; j’en suis à peu près certain, car il me semble que je suis peureux. Je vis la nuit se confondre avec le jour, les sables de la mer profonde s’élever haut dans la froide région de l’air. Je vis tous les éléments bouleversés, la terre, l’eau, l’air et le feu lui-même se croiser au milieu des nuages déchirés.

Au milieu de cette grande bourrasque, des nuées de poëtes pleuvaient sur le na-

  1. « Si haré, pues no es infando lo que jubes. » Allusion transparente et burlesque au fameux vers qui ouvre le récit d’Ênée, dans le IIe livre de l’Énéide :
    Infandum, regina, jubes renovare dolorem.