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me jeter à ses pieds, si beaux de leur ornement. Aussitôt le dieu disert me fit lever, et en vers mesurés et sonores, il commença à me parler ainsi : « Ô Adam des poëtes, ô Cervantes ! que signifient ce bissac et ce costume, mon ami ? » témoignant ainsi qu’il ignorait mon dessein. — Et moi, répondant à sa question, je dis : « Seigneur, je vais au Parnasse et, à cause de ma pauvreté, je poursuis mon chemin, accoutré de la sorte ». — Et lui à moi : « Ô esprit surhumain, dit-il, et supérieur à celui de Cillène, sois comblé d’abondance et d’honneur ; car enfin, tu fus jadis un valeureux soldat, ainsi que le témoigne cette main mutilée. Je sais très-bien que, dans ce terrible combat naval, tu perdis le mouvement de la main gauche, pour la gloire de la droite ; et je sais aussi que cet instinct surhumain qui fait battre ta poitrine, notre père Apollon ne te l’a pas inspiré en vain. Sur la croupe de Rossinante, tes ouvrages pénètrent dans les coins les plus reculés de la terre, provoquant les attaques de l’envie. Poursuis, rare inventeur, poursuis ta marche et ton dessein, et prête ton aide à Apollon, puissant renfort, avant que n’accoure la troupe infime de plus de vingt mille poëtes avortons, dont la qualité est, pour eux-mêmes, un problème. Voilà que les sentiers et les chemins sont inondés de cette canaille inutile ; ils vont vers la montagne et ils ne méritent pas même de se reposer à son ombre. Arme-toi incontinent de tes vers, et mets-toi en état de poursuivre avec moi