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bite ; adieu à la promenade de Saint-Philippe, où je vois si le chien Turc monte ou descend, comme dans une gazette vénitienne ; adieu à la faim subtile de quelque hidalgo ; c’est afin de ne pas tomber mort devant ta porte, que je quitte aujourd’hui ma patrie et sors de ma nature.

Ce disant, j’arrivai tout doucement au port qui a reçu son nom des gens de Carthage, port abrité et fermé à tous les vents, d’un si rare et éclatant renom, que devant lui s’inclinent tous les ports baignés par la mer, éclairés par le soleil et fréquentés par les navigateurs. Mes regards s’étendaient sur la vaste plaine de cette mer qui rappela à ma mémoire les exploits héroïques de l’héroïque don Juan. Moi aussi, au milieu des glorieux combattants, par ma valeur et mon courage, j’eus, bien que chétif, part à la victoire. Là, plein de rage et d’un mortel dépit, l’Ottoman orgueilleux vit sa fierté abattue et réduite à rien.

Ainsi rempli d’espoir, et exempt de crainte, je cherchai aussitôt une frégate, afin de donner suite à mon grand projet ; et sur l’argent liquide de la plaine azurée, je vis approcher un vaisseau, à voiles et à rames, qui allait prendre terre dans le vaste port. C’était bien le plus superbe, le plus merveilleux et le plus parfait des navires qui font sentir leur poids aux épaules de Neptune. Jamais la mer ne vit son pareil, non ! pas même parmi la flotte qui fut détruite par la vengeance de Junon, Le navire Argo, lors de la conquête de la toi-