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toute entreprise, séduit par mon désir, je m’avançai, les pieds dans la poussière du chemin, et la tête au vent. Enfin, mettant mon choix en selle, et moi-même sur la croupe du destin, je me décide à faire le grand voyage. Que si quelqu’un s’étonne d’une pareille monture, qu’il apprenne, s’il l’ignore, qu’elle est en usage non-seulement en Castille, mais partout ailleurs. Nul ne peut prétexter une excuse, pour refuser le service de cette monture ; tout mortel qui voyage, l’accepte. Elle est parfois aussi légère que l’aigle ou la flèche qui fendent l’air ; et parfois elle marche avec la lenteur de la tortue.

Quant au bagage d’un poëte, toujours léger, comme il n’y a point de valise, toute monture lui est bonne. Il est de fait incontestable, qu’un poëte, héritât-il d’un trésor, loin d’augmenter son bien, le perd infailliblement. C’est là une vérité dont l’explication consiste, selon moi, en ce que tu les animes, ô grand Apollon, mon père, de ton esprit, dans leurs desseins. Et comme ton esprit ne descend point aux vétilles des affaires pratiques, et ne va point se noyer dans le lucre vil, eux, soit qu’ils se livrent à la plaisanterie ou au sérieux, n’aspirent jamais au gain en quoi que ce soit, et ils s’envolent par-dessus les sphères. Ils racontent les actions de Mars sur l’arène sanglante, ou les amours de la douce Vénus, parmi les fleurs ; ils pleurent la guerre ou chantent l’amour, et la vie passe pour eux comme un songe, ou comme le temps pour les joueurs passionnés.