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CLXV

le combat, pour prévenir une épidémie de poëtereaux, qui naissaient et multipliaient comme des sauterelles sur le champ du combat.

Notons que Cervantes n’a nommé que cent-cinquante poëtes environ dans son poëme. Encore faut-il soustraire de ce nombre les mauvais et les auteurs qui sont introduits par pure complaisance, théologiens, historiens, jurisconsultes ; de telle sorte que les vrais serviteurs d’Apollon se réduisent à une poignée. Lorsque le maître du Parnasse distribue des couronnes aux vainqueurs, Cervantes ne compte que neuf lauréats, qu’il ne nomme pas, se bornant à en désigner trois seulement : les deux frères Argensola et Quevedo, c’est-à-dire les deux hommes qui avaient le plus respecté les droits de la raison dans leurs vers, et ce redoutable satirique qu’il appelle énergiquement « le fléau des sots poëtes. » Et, dans l’appendice, il remarque malicieusement que les quatre grands poëtes espagnols qui ont mérité le surnom de divins, sont arrivés à la postérité avec un très-léger bagage, de même que ces deux frères aragonais, dont les poésies réunies forment un tout petit volume. N’est-ce pas un dernier trait lancé contre Lope de Vega dont les écrits, incomplètement recueillis, forment une bibliothèque ? Et n’est-ce pas ce prodige de fécondité que Cervantes a eu en vue en faisant le portrait de la vaine gloire, qui est une de ses plus heureuses allégories et le digne pendant du portrait de la vraie poésie ?