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CLXIV

l’impitoyable critique se contente de les désigner par leurs ouvrages : tels, par exemple, Andrés Perez de Léon, auteur d’un roman détestable et graveleux, la Picara Justina, Bernardo de la Vega et Bernardo Gonzalès de Bovadilla, auteurs de deux pastorales très-médiocres, el Pastor de Ibéria et Ninfas y pastores de Henáres.

Cervantes avait déjà suivi cette méthode, dans le fameux examen des livres de don Quichotte : citer les ouvrages, c’était désigner assez nettement les auteurs. Il goûtait peu la satire personnelle, mais il fallait faire quelques exemples ; et il faut reconnaître que le nombre des victimes est bien petit, eu égard à la multitude de plats rimeurs qui encombraient les avenues du Parnasse. Il est vrai que Cervantes a fait des exécutions en masse ; il y en a trois dans son Voyage. Mercure, voyant sa galère trop chargée et en danger de couler bas, passe au crible les poëtes qui se sont embarqués à son bord pour aller au secours d’Apollon, et il jette impitoyablement à la mer tous ceux qui sont de mauvais aloi. Au chant quatrième, un autre vaisseau, tout chargé de rimeurs, aborde au Parnasse ; mais Apollon, effrayé du concours imprévu de ces volontaires, invoque Neptune, et alors recommence une seconde noyade, qui forme un des plus agréables épisodes du poëme. Enfin la bataille est livrée entre les deux armées ennemies, et les mauvais poëtes vaincus, le dieu des vers est obligé de semer de sel l’endroit où s’est livré