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CLXIII

Si vous êtes du nombre des élus, dit-on aux auteurs, tant mieux pour vous ; et, si vous n’en êtes pas, tant mieux aussi. Que le lecteur averti prenne donc garde de confondre les éloges sincères avec ceux qui ne sont qu’ironiques.

Cervantes affectionnait particulièrement cette manière de critique, et il y excellait. Ses éloges ont tué plus d’un auteur dont la réputation s’épanouissait en plein soleil, avant que le curé, aidé de son compère le barbier et de la gouvernante, eût passé en revue la collection de romans, de pastorales et de poëmes qui avaient brouillé la cervelle de don Quichotte. Il ne faudrait pas imiter ce maître d’espagnol, nommé Pedro Pineda, un sot qui, prenant au pied de la lettre l’éloge que fait en riant le curé d’un ouvrage remarquable par le ridicule, s’avisa d’en donner à Londres, en 1740, une magnifique édition, en invoquant le témoignage de Cervantes en faveur d’un méchant auteur que Cervantes a exécuté sans pitié. Car il l’a repris à partie dans le Voyage du Parnasse : c’est ce même Lofraso, poëte espagnol, né en Sardaigne, que Mercure sauve de la fureur de Scylla et Carybde, en le nommant son garde-chiourme.

Lofraso n’est cependant pas le plus maltraité des mauvais poëtes nommés dans le Voyage. Arbolanches, le chef de la bande ennemie, le généralissime des ennemis d’Apollon, est accommodé de main de maître, et conformément à ses mérites. D’autres encore reçoivent un châtiment exemplaire ; mais