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essais il a su garder une juste mesure, et que son bon sens incomparable l’a préservé de ces tentatives qui auraient pu compromettre sa réputation. Avec sa manie de versifier, n’est-il pas incroyable qu’il ait résisté à la tentation de composer un de ces poëmes épiques ou héroïques, qui se comptaient par centaines lorsqu’il entra dans la carrière ? N’est-il pas étonnant que son imagination en travail, et si féconde en inventions merveilleuses, ne lui ait pas promis la gloire de l’Arioste ou la renommée du Tasse, et qu’il n’ait cédé à l’illusion ? Ces réflexions ne sont donc pas venues à l’esprit des critiques qui ont été si sévères pour les productions poétiques de Cervantes ? Et ne faut-il pas lui tenir compte, lui savoir gré de s’être tenu, sauf quelques écarts sans conséquence, dans les limites de son domaine ? Et jusque dans ses écarts, ne retrouve-t-on pas quelques traces de son talent ?

Certes, il n’était pas né poëte lyrique ni élégiaque, bien qu’il eût remporté des prix et des couronnes dans ces concours et joutes poétiques, qui dans toutes les villes d’Espagne avaient remplacé les tournois et passes d’armes. Nous connaissons ces pièces couronnées et récompensées, qui sont tout au plus passables. Mais quand Cervantes se servait des vers comme de la prose, pour donner carrière à sa verve comique, sa poésie était vive, originale et forte. Ses deux sonnets sur le catafalque de Philippe II et sur l’expédition ridicule du duc de Medina,