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CLII

carrière des lettres, moins par leur vocation que par l’ambition de s’enrichir. L’intérêt et la cupidité étouffaient, non pas l’amour de la gloire, qui exclut toute passion basse, mais ce sentiment de dignité et de fierté que les hommes nés pour se distinguer du commun font passer avant les satisfactions les plus légitimes. La réputation s’escomptait en beaux ducats et en pensions, et la renommée d’un auteur était en proportion de sa fortune. Lope de Vega, le mieux renié des beaux-esprits, n’avait-il pas dit que le culte exagéré de l’art et de la poésie condamnaient l’artiste et le poëte à mourir obscur et misérable ?

Que quien con arte ahora las escribe,
Muere sin fama y galardon.

Et lui-même ne donnait-il pas l’exemple en même temps que le précepte ? Il convenait de bonne foi, devant une assemblée littéraire, que ses pièces ne pouvaient plaire qu’à des barbares ; mais, loin de les désavouer, il s’applaudissait de leur succès, parce qu’il y gagnait tanta fama como dineros, y tantos dineros cuanta fama. Il conciliait ainsi sa vanité d’auteur avec ses intérêts et son amour du faste.

Cervantes, d’un si noble caractère, gémissait et rougissait de cette prostitution de la littérature. Aussi n’est-il pas surprenant que cet esprit généreux ait accordé, sans hésiter, la préférence à la profession des armes sur la profession des lettres qui n’était alors qu’un vil métier. L’ancien soldat, fier de ses