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infinie multitude d’écrivains et de poëtes qui se passaient à peu près tous de raison et de goût. Sauf quelques fortes têtes, qui résistèrent au vertige, chacun se précipitait dans cette orgie littéraire, et chacun se proposait pour modèle l’homme heureux et envié qu’on s’accordait à proclamer le roi du théâtre et le maître des beaux-esprits.

Cervantes était, il faut le croire, au-dessus de l’envie et de la jalousie. Il confesse lui-même, avec une noble ingénuité, qu’il ne connut jamais ces deux mauvais sentiments. Et, de fait, il était trop fort et trop sûr de ses forces, pour être envieux ou jaloux du mérite le plus solide. Il est probable toutefois que son âme généreuse, et si passionnée pour la vraie gloire, ne pouvait comprimer un mouvement bien naturel de légitime dépit, en voyant au faîte des honneurs et de la réputation ce Lope de Vega, qui n’était à ses yeux qu’un prodige, un phénomène extraordinaire, une rareté et presque une curiosité. Il l’a qualifié excellemment, en l’appelant « el monstruo de naturaleza ; » et il est à remarquer que, dans le Voyage au Parnasse, il s’est servi de cette expression si originale et si juste pour qualifier l’envie.

Lope de Vega, malgré les éloges qu’il était obligé de lui donner, pour ne pas aller trop directement contre le courant, était à ses yeux le mauvais génie et le vrai représentant de cette littérature sans frein ni règle, qui ne s’inspirait que du caprice et de la fantaisie, qui se mettait à la remorque de la sot-