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CXLII

points. Cervantes a été, sous plusieurs rapports, le Rabelais de l’Espagne. Réformateur et révolutionnaire à sa manière, il a travaillé de tout son pouvoir à la ruine d’un système caduc et d’une tradition funeste, en se contenant davantage dans le domaine spirituel et purement littéraire. Rabelais touche hardiment à l’organisation sociale et à l’ordre religieux. Cervantes, écrivant un siècle après la réforme, alors que la fermentation soulevée par la Renaissance était depuis longtemps calmée, n’a rien de l’homme d’école et du théologien ; mais armé comme Rabelais pour la polémique, et dominé par le génie de la critique, il déclare en riant une guerre à mort aux corrupteurs de la raison, et compose en se jouant un manuel de philosophie pratique qui est un trésor de joie et de sagesse.

Cervantes apporta le premier dans le roman le talent de la comédie. C’est par là que Don Quichotte reste sans égal dans son genre : la société s’y trouve représentée par des gens de toute classe. C’est une première invasion de la démocratie dans les ouvrages de l’esprit. Ce grand livre est à la portée de toutes les intelligences. De là sa prodigieuse popularité. Cette fable, dont les personnages semblent vivants, tant est grande la vraisemblance du récit, cette fable séduit les esprits les plus incultes, ceux qui ne peuvent comprendre les enseignements cachés sous l’ingénieuse fiction.

Il n’en est pas ainsi de Rabelais ; pour