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CXXXIX

plus, les bergers furent abandonnés pour des princes, et l’on vit sans étonnement cette innovation étrange, qui consistait à prendre les personnages historiques, voire les héros de la fable et de la mythologie, pour leur donner un rôle dans des intrigues insipides et des aventures amoureuses. L’histoire grecque et l’histoire romaine furent mises en romans. La contagion se répandit sans obstacles. Mlle de Scudéry et ses dignes rivaux, Gomberville, la Calprenède, Desmarets, donnaient le ton aux beaux esprits de la cour et de la ville ; ils avaient des admirateurs sans nombre, et leur réputation était immense. Et l’on viendra nous répéter encore que c’est par le bon sens, la raison, la mesure, que l’esprit français se distingue souverainement.

Il est vrai que les tendances et les mœurs du temps autorisaient ces histoires fictives et allégoriques, qui inauguraient dignement un siècle théâtral, d’une grandeur problématique, mais grand à coup sûr par l’immoralité profonde et l’hypocrisie. Un incurable érotisme était la maladie et l’idéal de cette époque, dont la littérature ne représentait au fond que niaiserie, vice et corruption. Boileau fit justice à sa manière de ces héros de roman, si ridiculement travestis, et de ces auteurs prétentieusement médiocres qui, racontant, d’un style ampoulé des choses invraisemblables, faussaient le sens commun et corrompaient la langue. La langue porte toujours la peine des outrages que l’on fait à la raison.