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CXXXVII

sement à donner à sa vie le charme illusoire d’une idylle ou d’une églogue, tourmenté qu’il est de cette soif de l’idéal, qui était proprement la maladie du temps, et qui se traduit toujours en aspirations inutiles et impuissantes.

Cervantes sentit le danger. Les romans de chevalerie avaient gâté et corrompu les esprits. Les pastorales, qui présentaient l’amour de la jouissance et de l’oisiveté sous une forme encore plus aimable, pouvaient les énerver et les endormir dans un pernicieux quiétisme. Le roman chevaleresque avait frayé le chemin au mysticisme. Ramon Lull, le vrai chef des mystiques espagnols, avait composé lui-même des récits romanesques avant de terminer par le martyre une vie d’aventures, entièrement consacrée à des entreprises aussi généreuses que folles. Au moment où Iñigo de Loyola fut touché de la grâce, sa tête était remplie de fictions et de visions. Les livres de chevalerie avaient aussi troublé l’imagination de cet homme extraordinaire ; et en renonçant à la carrière des armes, il se fit, comme Ramon Lull, le chevalier de la Vierge. Les hallucinations de sainte Thérèse, qu’on attribue trop légèrement à un état hystérique, reconnaissaient aussi pour cause la lecture de ces détestables livres dont elle avait nourri son imagination dans sa première jeunesse. L’influence de cette lecture est encore visible dans les confessions de cette femme célèbre, pour ne rien dire de ses autres écrits. Les auteurs