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CXXXVI

fois l’Iliade et l’Odyssée des Espagnols. À ce point de vue, il est unique et incomparable ; car aucun de ses prédécesseurs n’avait tenté ce qu’il a réalisé.

L’archiprêtre de Hita avait esquissé un tableau très-ressemblant, mais réduit, des mœurs du quatorzième siècle. Les auteurs de la Célestine agrandirent le cadre et firent le portrait de la société du siècle suivant, L’auteur de Lazarille de Tormès, en plein seizième siècle, entremêla de mordantes satires l’épopée de la misère et de la mendicité, et son inimitable miniature fut le vrai modèle de Guzman d’Alfarache.

Cervantes, venu à temps pour profiter de ces exemples, fit l’histoire complète de la société espagnole, et sous le voile transparent d’une fable ingénieuse, il montra le bon sens national gravement compromis par des guides spirituels qui, perdant de vue la réalité et le positif, le bien et le vrai, s’obstinaient à poursuivre des ombres et des fantômes. S’il est impitoyable pour les livres de chevalerie, il ne se montre pas moins sévère pour les pastorales, qui faisaient concurrence aux romans, et qui n’allaient à rien moins qu’à altérer la vérité des tableaux de la nature et la réalité de la vie des champs. Remarquons que lorsque Don Quichotte, vaincu et humilié, est obligé, par son serment, de renoncer à l’exercice de la chevalerie errante, il conçoit le dessein de se faire berger. Après avoir rêvé une existence impossible, comme chevalier, il songe sérieu-