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CXXXIII

Brozas, le commentateur de Juan de Mena et de Garcilaso, l’auteur de la célèbre méthode latine, si connue des savants sous le titre de Minerva, mort, en quelque sorte sous la griffe de l’inquisition.

Si les grammairiens et les humanistes couraient risque de la vie comme libres penseurs, qu’on juge des dangers auxquels s’exposaient les esprits qui agitaient des problèmes autrement graves que les questions de grammaire et de rhétorique. Aussi n’y a-t-il pas un grand nom parmi cette élite brillante qui fut l’honneur des lettres espagnoles sous Charles-Quint et les trois Philippe, pas un nom célèbre dont la trace ne se retrouve dans les archives du Saint-Office. On était suspect par cela même qu’on était réputé capable de penser. Aussi voit-on, non sans s’indigner, les esprits les plus éminents, forcés de cacher leurs talents, de les dissimuler, de les détourner de la véritable voie. Les mieux doués s’empressaient de démentir leur vocation, et à moins de se condamner à l’inactivité, ils étaient obligés à une sorte d’hypocrisie intellectuelle. Les plus forts mutilaient leur cerveau ou le paralysaient. La raison et le jugement portaient ombrage aux défenseurs de la foi orthodoxe et n’étaient point de mise dans les ouvrages de l’esprit. On ne laissait libre carrière qu’à l’imagination et à la subtilité, si bien que le génie prodigieusement actif et inquiet de la race (animus inquies, avait dit Trogue-Pompée), ne pouvant s’appliquer aux choses