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CXXVII

dans la profession des lettres. En ce temps-là, les auteurs faméliques ou affamés de popularité, présentaient leur manuscrit aux amis et connaissances, aux complaisants, aux confrères et récoltaient ainsi leur gerbe d’éloges. Le public se laissait prendre à ces certificats, si bien que l’approbation mutuelle entre écrivains était devenue une coutume ayant force de loi. J’ai compté jusqu’à vingt-quatre pièces de vers laudatifs en tête du Voyage amusant (Viage entretenido) d’Augustin de Rojas. Dans un recueil de poésies de Lope de Vega (Rimas, Barcelone, 1604) on en compte vingt-huit. Il faut ajouter que Cervantes lui-même était du nombre de ces vingt-huit panégyristes. C’est Clemencin qui en a fait la remarque dans son savant commentaire ; mais il s’est trompé en cet endroit, en citant inexactement un passage de la préface du faux Avellaneda.

Les dix pièces de vers qui précèdent la première partie de don Quichotte, et que Cervantes attribue à des personnages fabuleux, sont la meilleure satire qu’il pût imaginer de cet usage auquel sacrifiaient ses contemporains les plus célèbres. Il en est de même des éloges burlesques qui la terminent, et que l’auteur met sur le compte des académiciens de l’Argamasilla, ce bourg de la Manche dont il ne voulait pas se rappeler le nom, en commençant l’histoire du valeureux hidalgo. Il n’y a pas une ligne de la préface qui ne fronde les mœurs littéraires de l’époque. La critique perce jusque dans la dédicace.