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CXIX

ligences non illuminées. Mais pour comprendre, admirer et aimer Cervantes, l’instruction nécessaire et le bon sens suffisent, sans initiation préalable ; et un commentateur qui nous promet des révélations inattendues, est mal venu à nous le représenter comme un homme ami de la vérité sans doute et tout dévoué à son service, mais s’appliquant avec beaucoup de soin à la cacher sous un épais tissu d’énigmes.

Non, Cervantes n’était point un génie énigmatique, et s’il n’a parlé souvent qu’à demi mot, c’est qu’il se fiait à la sagacité du lecteur, ou qu’il obéissait à ce sentiment de réserve qui, sous l’empire redouté du Saint-Office, est devenu en Espagne un des traits saillants du caractère national. Une seule fois la griffe de l’Inquisition a effleuré ses écrits, et bien légèrement, il faut le dire. Dans la deuxième partie de don Quichotte, au chapitre xxxvi, la duchesse, reprochant à Sancho Pança sa lenteur à faire la pénitence qui devait achever le désenchantement de Dulcinée, lui dit sentencieusement : « Remarquez, Sancho, que les œuvres de charité qu’on accomplit mollement et avec tiédeur, sont sans valeur et dépourvues de mérite. » Y advierta Sancho que las obras de caridad que se hacen tibia y flojamente no tienen mérito, ni valen nada. La proposition, si raisonnable d’ailleurs, pouvait paraître malsonnante aux inquisiteurs, et dans leur système de répression, ils furent logiques en la biffant.