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CXII

sans cesse en travail, éclosent indistinctement les créations les plus ravissantes, les monstres et les chimères.

D’autres inventent et produisent aussi sans effort ; mais ils ont en eux comme une faculté d’élection, qui règle et dispose l’éclosion des germes. En d’autres termes, une volonté directrice préside à leurs créations, et ils n’engendrent pas, ne conçoivent pas en quelque sorte par mécanique, comme les précédents, qui obéissent à une impulsion irrésistible. Ceux-ci ne sont pas maîtres de leurs facultés créatrices, et leur génie est pour ainsi dire inconscient. On les appelle enthousiastes et inspirés ; ils devinent et se trompent comme les prophètes, s’élèvent très-haut, tombent très-bas, tantôt plats et tantôt sublimes, prodigieusement inégaux et remarquables surtout par les contrastes.

C’est, je crois, dans cette catégorie de génies imparfaits que doivent être rangés ces poëtes que la nouvelle poétique, pour donner apparemment une idée matérielle de leur immensité et de leur grandeur, appelle hardiment des hommes-océans et des hommes-montagnes. Ces génies incomplets ne possèdent guère les trois facultés qui concourent chez ceux de l’autre classe : la puissance de coordination, l’esprit de discernement et le sentiment du ridicule.

C’est par là que se distinguent précisément les grands auteurs comiques, ceux qui ont le don si rare d’exciter le rire, sans être jamais ridicules. Habiles à saisir les con-