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CIX

travers. Faisant ouvertement profession de charlatanisme, ils n’imitaient point dans leurs leçons le langage mystérieux des devins et des sibylles, et n’avaient garde de prêcher des doctrines contraires à cette religion littéraire qui était l’orthodoxie pour tous les Grecs.

Les sophistes et les rhéteurs respectèrent toujours les créations souveraines de l’art et de la poésie, qui étaient non pas des types de convention qu’on admirait par tradition, mais l’expression même de ce sentiment des proportions et des convenances, de ce sens esthétique et de ce goût instinctif et infaillible, que la décadence même ne put éteindre chez cette race privilégiée. C’est ici le lieu de remarquer que, jusque dans les bas siècles de la littérature grecque, le sens critique persista, et que jamais commentateur ou grammairien ne s’avisa d’admirer la beauté de Thersite ou les grâces de Polyphème.

Les Grecs ne comprenaient pas, ne concevaient pas la poésie de la laideur et de la difformité : leurs héros les plus renommés étaient ceux qui, suivant la légende, avaient purgé la terre des brigands et des monstres, c’est-à-dire de ces êtres nuisibles et malfaisants qui troublaient les harmonies de la civilisation et de la nature. Ce peuple, unique par le génie littéraire, avait horreur du monstrueux et du laid :

Graiis ingenium, Graiis dedit ore rotundo
Musa loqui.