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CVI

stitue un esprit d’élite, ils ont encore le sentiment, le goût et la conception du laid, du faux et de l’absurde. Ce triple élément peut se résumer en un mot : Monstruosité. C’est la contre-partie de l’esthétique vulgaire, qui se résume aussi en une triple formule : le vrai, le beau et le bien, laquelle représente l’idéal des poëtes et des artistes, et répond à l’idée de parfaite harmonie, d’ordre absolu, de suprême perfection.

Il y a donc un double idéal et une double esthétique, ou mieux, il n’y a qu’une esthétique vraiment digne de ce nom, celle qui embrasse les deux formules et les deux extrêmes. En d’autres termes, le grand art, la grande poésie (c’est aujourd’hui la mode d’accoler les adjectifs aux substantifs qui en ont le moins besoin : la grande invention, la grande curiosité, etc.) équivalent à une synthèse résultant de deux antithèses. C’est, à quelque différence près, le système de Hégel, la formule et le langage de ce profond penseur. Puissante conception, transportée de la psychologie dans la poésie ! Le reste se devine.

S’il ne possède qu’un des deux éléments de cette singulière esthétique, le génie est incomplet ; il ne vole, pour ainsi dire, que d’une aile. Comment s’élèverait-il à ce point culminant de la synthèse, s’il n’est lancé et relancé par l’antithèse ? Un cerveau de vrai poëte doit être animé des deux électricités, positive et négative ; mises en contact, elles feront jaillir la foudre et retentir le tonnerre.