Page:Level - Le double secret, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.
448
JE SAIS TOUT

X

Il s’était jeté sur son lit, et la tête enfoncée dans l’oreiller, les ongles crispés sur les tempes, il sanglotait d’énervement. De l’autre chambre venait un bruit confus d’étoffes froissées, de tiroirs ouverts et fermés avec précaution, le bruit plus net des rideaux glissant sur les barres, et celui des épingles d’écaille tombant dans une coupe en cristal. Ensuite, il n’entendit plus rien. Anne-Marie devait s’être étendue à son tour. Cependant, elle soupirait, se tournait et se retournait. Philippe se leva et entra sur la pointe des pieds, espérant qu’elle dormait et s’agitait dans son sommeil. Arrêté au pied du lit il dit à mi-voix :

— Anne-Marie ?…

Elle ne parut pas l’entendre ; il répéta d’une voix plus pressante :

— Anne-Marie…

Alors, laissant rouler sa tête sur les coussins, et passant sa main sur ses paupières, elle murmura, épuisée et plaintive :

— Quoi ?…

Il ne fut dupe ni du ton, ni du geste et, cependant, évita de lui laisser deviner son impression. Sa pensée se concentrait sur un autre but. Dans les minutes qui allaient suivre, toute leur vie se jouerait : qui sait, peut-être en ce moment, se jouait-elle déjà… Il avait à la fois pitié de sa propre détresse et de la douleur qui s’inscrivait sur les traits de sa femme. Cette pauvre petite créature livide, ramassée, peureuse, qu’un mot faisait frissonner, qui n’osait soutenir son regard et s’effarouchait du son de sa propre voix, était-ce bien celle qu’il avait vue éclatante de jeunesse dans les prairies de Vendée, sous les arbres de la Roche-au-Roi, pendant tout leur voyage de noces, et jusqu’aux derniers jours de cette semaine ? Déjà, elle n’était plus la même que l’instant d’avant ; chaque minute qui s’écoulait semblait travailler à la détruire, à transformer son charme, à effriter sa beauté.

Alors, il n’y tint plus et, tombant à genoux près du lit, attirant ses mains pour y poser sa tête, il murmura, résolu parce qu’il dérobait son regard :

— Anne-Marie, mon cher amour, partez, partez vite… Il n’y a pas une minute, pas une seconde à perdre. Levez-vous, sautez dans n’importe quel train ; de vous, on ne se défiera pas. Dans le cas où la gare serait surveillée, prenez un traîneau, faites-vous conduire à la prochaine station… mais partez, partez !…

Elle rejeta les couvertures ; il s’aperçut qu’elle était en robe de chambre.

— Tu vois, j’étais prête, dit-elle.

Il eut honte d’avoir abandonné le tutoiement, et reprit pour la rassurer :

— Simple mesure de précaution… Je te suivrai dans quelques heures… quand le bruit se sera apaisé autour de cette malheureuse affaire…

Brusquement, il se tut. Partir, c’était bientôt dit, mais avec quoi ? Il n’avait pour toute fortune qu’une centaine de francs. Cette réflexion le glaça. Il fallait avouer… Il chassa toute hésitation : le moment n’était pas aux vains scrupules. Il s’agissait bien de rougir, quand un risque aussi effroyable pesait sur eux ! Cependant, n’osant entamer de front la vérité, il biaisa :

— As-tu de l’argent sur toi ?… parce que, moi…

Elle lui épargna la honte d’achever :

— J’ai ce qu’il me faut. Tu m’avais donné cinq cents francs en partant pour mes menues dépenses.

Il respira. Maintenant, c’était elle qui semblait calme. En un tournemain, elle avait relevé ses cheveux sur sa nuque, serré son déshabillé dans une valise, pris une jupe de voyage et passé une blouse. Elle accomplissait ces mouvements très vite, mais sans précipitation, changeant de bas parce qu’elle prenait des