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DEUXIÈME PARTIE

et c’étoit de vous que je parlois à l’oreille du duc, tant je suis peu la maîtresse des occasions de vous offenser. Je mourois d’envie de vous voir faire quelque chose qui me fournît un prétexte de vous faire une brusquerie publique ; mais comment aurois-je pu vous la faire ? Ma colère même est un excès d’amour, et dans le moment où je suis outrée de rage pour votre tranquillité, je sens bien que j’aurois des raisons de la défendre si je ne vous aimois jusqu’au dérèglement. En effet, mon frère nous observoit ; la moindre affectation que vous eussiez témoignée de me parler m’auroit perdue. Mais ne pouviez-vous avoir de la jalousie sans la faire remarquer ? Je me connois au mouvement de vos yeux, et j’aurois bien vu des choses dans vos regards, que le reste de la compagnie n’y auroit pas vues comme moi. Hélas ! je n’y vis jamais rien de tout ce que j’y cherchois. J’avoue que j’y trouvai de l’amour, mais étoit-ce de l’amour qui devoit y être en ce temps-là ? Il falloit y trouver du dépit et de la rage ; il falloit me contredire sur tout ce que je disois, me trouver laide, cajoler une autre dame à ma vue ; enfin il falloit être jaloux, puisque vous aviez