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DEUXIÈME PARTIE

tour, que votre esprit est journalier et que vous n’en avez point eu pendant votre voyage. Pour moi, je suis assurée que personne ne vous parlera de moi, qui ne m’accuse de ce défaut. Je dis des extravagances qui étonnent tous ceux qui m’entendent, et si la maladie de mon frère n’autorisoit mes égaremens, on croiroit parmi mon domestique que je suis devenue insensée. Il ne s’en faut guère que je ne la sois aussi. Vous pouvez juger du dérèglement de mon esprit par celui de cette lettre ; mais voilà comme vous devez m’en vouloir. Les ravages que votre absence a faits sur mon visage doivent vous paroître plus agréables que la fraîcheur du plus beau teint, et je me trouverois bien horrible si trois jours de la privation de votre vue ne m’avoient point enlaidie. Que deviendrai-je donc si je la perds pour six mois ? Hélas ! on ne s’apercevra point du changement de ma personne, car je mourrai en me séparant de vous. Mais il me semble entendre quelque bruit dans les rues, et mon cœur m’annonce que c’est le bruit de votre retour. Ah ! mon Dieu, je n’en puis plus : si c’est vous qui arrivez, et que je ne puisse vous voir en arrivant, je vais mourir d’inquié-