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DEUXIÈME PARTIE

est, vous envisagez le moment de notre séparation comme un malheur infaillible, et vous commencez à donner des raisons à votre cœur pour l’y faire résoudre. Ah ! la vue des plus grandes beautés de l’Europe ne seroit pas si funeste pour moi que celle de nos canons, s’il est vrai qu’ils produisent cet effet sur votre esprit. Ce n’est pas que je veuille combattre votre devoir ; j’aime votre gloire plus que je ne m’aime moi-même, et je sais bien que vous n’êtes pas né pour passer tous vos jours auprès de moi ; mais je voudrois que cette nécessité vous donnât autant d’horreur qu’elle m’en donne, que vous n’y pussiez songer sans trembler, et que toute inévitable qu’une séparation vous doive paroître, vous ne puissiez croire de la supporter sans mourir. Ne m’accusez pas toutefois d’aimer à voir votre désespoir ; vous ne verserez jamais une larme que je ne voulusse essuyer. Je serai la première à vous prier de supporter courageusement ce qui m’arrachera la vie par un excès de douleur, et je ne me consolerois pas d’avoir été au monde si je croyois que mon absence vous laissât sans consolation. Que veux-je donc ? Je n’en sais rien. Je veux vous aimer