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DEUXIÈME PARTIE

choses, qu’il n’y a pas jusques à la retenue de mes caresses qui ne vous convainque de l’excès de ma passion. N’avez-vous jamais remarqué cet effet de ma complaisance ? Combien de fois ai-je retenu les transports de ma joie à votre arrivée, parce qu’il me sembloit remarquer dans vos yeux que vous me vouliez plus de modération ? Vous m’auriez fait grand tort si vous n’aviez pas observé ma contrainte dans ces occasions ; car ces sortes de sacrifices sont les plus pénibles pour moi, que je vous aie jamais faits ; mais je ne vous les reproche point. Que m’importe que je sois parfaitement heureuse, pourvu que ce qui manque à mon bonheur augmente le vôtre ? Si vous étiez plus empressé, jaurois le plaisir de me croire plus aimée ; mais vous n’auriez pas celui de l’être tant. Vous croiriez devoir quelque chose à votre amour, et j’ai la gloire de voir que vous ne devez rien qu’à mon inclination. N’abusez pourtant pas de cette générosité amoureuse, et n’allez pas vous aviser de la pousser jusques à m’arracher le peu d’empressement qui vous reste ; au contraire, soyez généreux à votre tour, et venez me protester que le désintéressement de ma tendresse