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PREMIÈRE PARTIE

vivre sans un plaisir que je découvre et dont je jouis en vous aimant au milieu de mille douleurs. Mais je suis sans cesse persécutée avec un extrême désagrément par la haine et par le dégoût que j’ai pour toutes choses. Ma famille, mes amis et ce couvent me sont insupportables. Tout ce que je suis obligée de voir et tout ce qu’il faut que je fasse de toute nécessité m’est odieux. Je suis si jalouse de ma passion, qu’il me semble que toutes mes actions et que tous mes devoirs vous regardent. Oui, je fais quelque scrupule si je n’emploie tous les moments de ma vie pour vous. Que ferois-je, hélas ! sans tant de haine et sans tant d’amour qui remplissent mon cœur ? Pourrois-je survivre à ce qui m’occupe incessamment, pour mener une vie tranquille et languissante ? Ce vide et cette insensibilité ne peuvent me convenir. Tout le monde s’est aperçu du changement entier de mon humeur, de mes manières, et de ma personne. Ma mère m’en a parlé avec aigreur, et ensuite avec quelque bonté. Je ne sais ce que je lui ai répondu ; il me semble que je lui ai tout avoué. Les religieuses les plus sévères ont pitié de l’état où je suis ; il leur donne même quelque consi-