Page:Lettres portugaises, éd. Piedagnel, 1876.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LETTRES PORTUGAISES

leur que me donneroient les vôtres, qui me seroient mille fois plus sensibles. Cependant je ne puis aussi me résoudre à désirer que vous ne pensiez point à moi ; et, à vous parler sincèrement, je suis jalouse avec fureur de tout ce qui vous donne de la joie, et qui touche votre coeur et votre goût en France. Je ne sais pourquoi je vous écris. Je vois bien que vous aurez seulement pitié de moi, et je ne veux point de votre pitié. J’ai bien du dépit contre moi-même, quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié. J’ai perdu ma réputation ; je me suis exposée à la fureur de mes parens, à la sévérité des lois de ce pays contre les religieuses, et à votre ingratitude, qui me paroît le plus grand de tous les malheurs. Cependant je sens bien que mes remords ne sont pas véritables, que je voudrois, du meilleur de mon coeur, avoir couru pour l’amour de vous de plus grands dangers, et que j’ai un plaisir funeste d’avoir hasardé ma vie et mon honneur. Tout ce que j’ai de plus précieux ne devoit-il pas être en votre disposition ? Et ne dois-je pas être bien aise de l’avoir employé comme j’ai fait ? Il me semble même que je ne suis guère contente, ni de mes