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DEUXIÈME PARTIE

plus possible de me le ravir. Je connois bien que je vous aimerai toujours malgré moi, et je suis sûre que je vous aimerai même malgré vous. Voilà des assurances dangereuses : mais quoi ! vous n’avez pas un cœur qu’il faille retenir par la crainte, et je ne croirois votre conquête guère assurée si je ne la conservois que par là. L’honnêteté et la reconnoissance sont comptées pour quelque chose dans l’amitié, mais elles ne tiennent pas lieu beaucoup dans l’amour. Il faut suivre son cœur sans consulter sa raison. La vue de ce qu’on aime enlève l’âme malgré qu’on en ait : au moins sais-je bien que voilà comme je suis pour vous. Ce n’est ni l’habitude de vous voir ni la crainte de vous fâcher, en ne vous voyant pas, qui m’oblige à rechercher votre vue. C’est une avidité curieuse qui part du cœur, sans art et sans réflexion. Je vous cherche souvent en des lieux où je suis assurée que je ne vous trouverai pas. Si vous êtes comme cela pour moi, sans doute que l’instinct de nos cœurs fera qu’ils se rencontreront partout. Je suis forcée de passer la meilleure partie du jour dans un lieu où vous ne pouvez vous trouver. Mais abandonnons-nous à notre passion, lais-