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On me logea tout à côté de sœur Agnès, qui avait été chargée, par la nouvelle supérieure, de prendre soin de mon éducation. Cette religieuse était grande et bien faite, elle avait six lustres révolus, et il n’est pas rare qu’à cet âge on connaisse tout le prix des plaisirs. Elle me répéta, en termes moins empoulés, ce que m’avait déjà dit madame la supérieure ; que j’étais destinée, par mon état, à grossir le nombre des élues du seigneur ; mais que la condition d’une religieuse n’était pas si à plaindre qu’on se l’imaginait, et qu’on avait des expédiens pour adoucir le joug de la retraite.

« L’amour, me disait-elle, pénètre aussi bien dans nos asyles, que chez les gens du monde. C’est à la faveur du déguisement qu’il emprunte, que le vulgaire imbécile nous regarde comme consacrées aux lois de la chasteté. On nous couvre d’un voile ; il le partage avec nous ; se dérobant aux yeux, il n’est plus visible, mais il n’en existe pas moins. Il règne dans nos cœurs, parcourt toutes nos veines, les