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pourrait mettre sa vanité à vous louer et à vous aimer ? mais surtout n’allez pas croire que ce soit ce mouvement qui m’ait portée vers vous : eh ! que cela serait frêle ! J’espère qu’avant de partir pour Vienne, vous aurez été accablé de mes lettres jusqu’au dégoût. N’oubliez pas que vous avez à m’accuser la réception de cinq, en comptant celle-ci. Vous seriez bien aimable, si vous répondiez à toutes mes questions ; mais vous manquez de temps et peut-être de confiance ; quant à moi, qui ne manque ni de facilité ni d’indulgence, je vous pardonnerai. Il me semble que dans cette longue lettre que je vous ai écris, j’ai omis un article assez curieux ; c’est ma santé : elle est détestable : je tousse à mourir, et avec assez d’effort pour cracher le sang. Je passe une partie de ma vie sans pouvoir parler ; ma voix est éteinte, et c’est de toutes les incommodités celle qui convient le mieux à la disposition de mon âme : j’aime le silence, le recueillement, la retraite. Je ne dors point ou presque point, et je ne m’ennuie jamais. N’allez-vous pas croire que je suis heureuse ? Si j’ajoutais que je ne changerais pas ma situation pour celle de qui que ce soit dans le monde, vous me croiriez en paradis ; vous auriez tort : pour y aller, il faut être morte, et voilà ce que je voudrais être ; mais venez, et écrivez-moi beaucoup, beaucoup.



LETTRE XVI

Ce 22 août 1773.

J’ai reçu hier votre lettre du 10, elle m’a fait du bien. Si vous saviez tout ce que j’ai souffert depuis