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trouve qu’il y a de la froideur et de la légèreté à ne me pas dire pourquoi vous ne m’avez pas écrit de Dresde, comme vous me l’aviez promis ; et puis, vous me faites sentir d’une manière trop prononcée, que le regret de n’avoir pas trouvé à Berlin ce que vous espériez, a détruit l’espèce de douceur et de plaisir que vous auriez pu éprouver par le témoignage et l’expression de mon amitié ; et puis, vous le dirai-je ? je suis blessée de ce que vous me remerciez de l’intérêt que je prends à vous. Pensez-vous que ce soit y répondre ? vous me trouvez bien injuste, bien difficile ; non, ce n’est rien de tout cela : je suis bien vraie, bien malade et bien malheureuse, oh ! oui bien malheureuse. Si je ne vous disais pas ce que je sens, ce que je pense, je ne vous parlerais pas. Croyez-vous que, dans le trouble où je suis, on ait le pouvoir de se contraindre ? par exemple, dois-je être touchée de cette manière de me dire sur le premier intérêt de ma vie : répondez-moi sur tout cela, ce que vous pourrez, ce que vous voudrez. Oh ! oui, ce que je voudrai ; vous me laissez en effet une grande liberté, mais vous voyez à quoi je l’emploie : ce n’est pas à vous critiquer, mais à vous prouver ce que vous savez encore bien mieux que moi c’est qu’on a le ton et l’expression de ce que l’on sent, et si je ne suis pas contente, ce n’est pas votre faute, et je le sais bien. Aussi, je ne prétends à rien, sinon à cette espèce de consolation qu’on s’accorde si rarement, de prononcer toute sa pensée. On est toujours retenu par la crainte du lendemain ; je me sens libre comme s’il ne devait plus y en avoir pour moi ; et si, par hasard, je devais vivre encore, je crois pressentir que je me pardonnerais de vous avoir dit la vérité, au risque même de vous avoir déplu ; n’est-il pas vrai ? il faut que notre