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arrivera, vous n’en éprouverez plus aucun mal. Voilà ce que ma générosité et mon intérêt pour votre repos me font vous conseiller, et c’est du fond de mon âme. N’allez pas m’opposer la morale : mon ami, on ne doit plus rien à qui a renoncé à tout ; tout pacte, tout lien, tout est rompu. Vous le voyez ! non, mon âme est impénétrable à toute consolation ; à peine osé-je me promettre quelque moment de soulagement à mes maux physiques : je les crois aussi incurables que ceux de mon cœur. J’ai cédé à l’amitié en voyant Bordeu : avant qu’il soit peu, la même amitié gémira de l’inutilité des secours. Bonsoir, je souffre beaucoup ; je voudrais bien que vous ne puissiez pas dire de même.

Songez que c’est demain votre jeudi. Vous avez la bonté de l’oublier : je dois m’en souvenir.



LETTRE CLXXIII

Six heures du soir, mars 1776.

Oui, j’entends bien votre générosité. Vous voudriez qu’un autre me rattachât à la vie, ou du moins m’enlevât à la mort, à laquelle vous m’avez condamnée. Que de grâces je vous dois ! le sentiment de la haine n’aurait pas mieux fait pour mon bonheur et mon repos. Plût au ciel que vous eussiez répondu à ces avances si indiscrètes et si hors de propos, par de la haine ! ce sentiment m’eût été moins funeste que celui qui vous a entraîné à me sauver la vie. Mais ce n’est point tout cela que je voulais vous dire. Je